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    Ecoute de toute ton amoureuse patience

     

     

    Quand tu écoutes avec le cœur, tu entends de l’intérieur.

    Tu entends les lieux, les temps, tu entends parler les pierres, la neige et les étoiles.

    Tu lis le monde à mains nues, en aveugle, et tu recueilles en toi les histoires que chaque être pulse.

    Tu entends les gens de la même façon.

    Tu entends ce que dit leur voix, ce que leur surface raconte, ce qu’ils acceptent de (te) montrer.

    Et puis tu entends aussi ce qu’il y a derrière, plus loin. Leurs peurs. Leurs désirs. Leurs nœuds et leurs souffrances cachées. Tout ce qu’ils n’osent pas exprimer. Tout ce qu’ils n’osent pas avouer, assumer. Tout ce qu’ils ont enfoui et dont ils ne sont, parfois, même pas conscients. Tout ce qu’ils n’osent pas regarder en face et que, volontairement ou involontairement, l’espace de transparence en toi leur reflète.

    Certains ne résistent pas à cette lucidité. C’est vrai qu’elle a quelque chose d’impudique. Tu entres brutalement, malgré toi, dans l’intimité des gens, tu les mets à nu sans prévenir. Certains te rejettent violemment, brûlés vifs par ce que leur renvoie le miroir. Certains t’agressent ou te malmènent, parce qu’ils ne supportent pas de regarder en face leur propre souffrance, quelles que soient la douceur et la délicatesse que tu mettes à la leur exprimer. Ils se sentent percés à jour et te fuient, ou te violentent, plutôt que de tomber le masque.

    J’ai perdu des gens que j’aimais immensément par cet effet « révélateur » (au sens photographique du terme). Il m’a fallu longtemps pour comprendre pourquoi, car je n’étais pas consciente que j’agissais ainsi sur eux. Je pensais que c’était ma faute si la relation avait capoté. Je pensais avoir fait quelque chose de travers. En réalité, j’étais simplement en train de réaccorder de mon mieux le piano, avec dévouement, patience et maladresse - car moi aussi j'ai mes fausses notes. De rétablir amoureusement les harmoniques de nos âmes faussées par les tribulations de l’existence sur terre.

    J’ai appris à mes dépens que peu d’êtres sont assez solides intérieurement pour affronter leur vérité. Pourtant, aucune couleur, aucune facette de l’expérience humaine n’est indigne d’amour, et ce sont au contraire les parts de soi les plus écorchées qui ont le plus besoin d’être accueillies à bras ouverts. Il n’y a rien, absolument rien dont on puisse avoir honte. Il n’y a que des êtres blessés et perdus qui font du mieux qu’ils peuvent.

    Ces dernières années, je n’ai rien écrit. Je pensais que mon travail avec l’écriture était achevé, que la vie m’appelait à présent dans le murmure des forêts, dans le chant des rivières où je trempais ma voix et à la cime des montagnes venteuses d’où je contemplais le ciel et le monde.

    Aujourd’hui, je suis rappelée en bas et je sais que je vais encrer d’autres pages blanches. Autrement. Mon travail actuel consiste à capter les non-dits, libérer les secrets, défaire les nœuds. Tremper ma plume dans le cambouis épais de l’incarnation et transmuter ses ratures en enluminures.

    Je ne suis plus interprète d’une partition, je suis alchimiste.

    Je ne suis plus écrivain, je suis sourcière.

     


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