• Nouveau texte - "Mais ça, c'était avant"

     
     
    Mais ça, c'était avant

     

     

    Active. C’est ce que j’étais. A tous les sens du terme. Economiquement : j’exerçais un métier, que j’aimais passionnément. Je me dévouais à lui corps et âme, je lui consacrais la majeure partie de ma vie, de mon temps, de mes forces; mes espoirs, mes défis, mes combats. Quotidiennement : même dans mon temps « libre », j’éprouvais le besoin de bouger, de m’« activer », d’être « efficace ». De remplir. Je m’en rends compte maintenant : j’avais horreur (et une peur démesurée) du vide. De me retrouver face à cette sensation de béance intérieure, de néant absurde, total. Je me bourrais d’occupations et de passe-temps, choisis ou imposés, pour colmater ce vide. Je saturais mon espace et mon temps d’un fatras d’objets, d’intérêts, de relations, de rendez-vous pour ne pas pouvoir m’asseoir le plus petit instant face à cette source d’angoisse fondamentale : moi. Je ne voulais pas, surtout pas faire connaissance avec ces ennemis féroces et terrifiants tapis dans mon ombre. Je préférais nourrir l’ombre. C’était plus simple, plus sain, plus rassurant, plus rentable… plus « payant ».

     

    Ca, c’était avant.

     

    Avant le « temps mort ». Accident, retraite, licenciement, pause… ce temps porte un nom différent pour les uns et les autres, mais sa réalité brutale est la même pour tous. La seule chose qui diffère, c’est la façon de l’aborder, de le vivre. J’ai d’abord nié. En bloc. Des mois durant, j’ai été dans un refus et une rage bouillants d’avoir dû « m’arrêter ». Ma pensée déchaînée tournait comme un fauve en cage. Je ne voulais pas de cette vie « au rabais ». Je me sentais inexistante, diminuée, bafouée. Plus tard vinrent l’abattement, la dépression… Il m’a fallu du temps pour apprivoiser ce nouveau mode de vie. Pour apprendre à aimer la lenteur, le silence… même la solitude. J’ai fini par retrouver un travail, oui… un travail de deuil. D’autant plus ardu que j’avais amoncelé tant d’obstacles contre lui, tant de barrières entre moi et moi… Il m’a fallu errer dans des plaines d’accalmie, franchir des pics de révolte, m’extirper de marécages infestés de pensées négatives… combattre, un à un, mes illusions, mes retards, mes cauchemars.

     

    Ce fut long. Et âpre.

     

    Aujourd’hui, je contemple les « actifs » (les hyperactifs !), cette horde grandissante autour de moi, non plus avec envie, mais avec une compassion où n’entrent plus ni dédain, ni fiel. Je les regarde courir, je les écoute vrombir, je sens la trépidation de leur « activité » faire trembler la planète… et je les plains. De ne rien savoir encore de l’essentiel. De passer à côté de tous ces détails infimes qui rendent la vie belle, précieuse, unique.

     

    Par une alchimie qui me dépasse, mon temps mort a fini par devenir vivant, vibrant. Il rayonne d’une vie cachée dont ils n’ont pas idée. De mon lit, immobile entre mes quatre murs, je fais le vœu qu’à leur tour ils puissent entrer un jour dans ce mystère, avant qu'il ne soit trop tard et que la vie ne les stoppe en pleine course.

     

                Sylvie PTITSA

    Texte placé sous copyright

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 22 Décembre 2012 à 21:52
    Très bien exprimé... ON vit un temps de terreur. ON tombe dans le puits comme Alice. Et puis la chute ralentit... et on sait qu'on peut poser le pied. Qu'on est prête. Et qu'on doit garder son propre rythme.

    Bravo!
    2
    Dimanche 23 Décembre 2012 à 05:04
    Bonjour Ptitsa,
    Tu te dévoiles et quel changement, cela a dû être très difficile par bout.
    (tu n'as pas eu d'accident toujours car la phrase, dans mon lit, immobile entre 4 murs...J'espère que tu vas bien.
    As-tu reçu ma carte?
    je te souhaite de "Joyeuses Fêtes" entourée de ta petite famille. le petit doit être grand maintenant?
    Amicalement.
    3
    Dimanche 23 Décembre 2012 à 09:58
    Merci pour ce témoignage précieux.
    Bises
    4
    Samedi 29 Décembre 2012 à 21:21

    Merci Jackie, je suis toujours heureuse de savoir que tu lis mes pages... Tu sais, ce n'est pas complètement un témoignage. Pour moi, la phase "immobile entre 4 murs" a heureusement été de courte durée, mais assez intense pour me marquer et m'inspirer de l'empathie envers ceux qui vivent cela au quotidien... sans espoir d'amélioration. Par chance, j'ai eu très tôt la prise de conscience que le "stop" pouvait arriver très rapidement et cela m'a souvent guidée dans mes choix. J'espère que tu passes de lumineuses fêtes de fin d'années. Je t'embrasse !

    5
    Samedi 29 Décembre 2012 à 21:25

    Bonjour Nadia-vraie,

    oui, nous avons cette année encore reçu ta carte, et c'est toujours une belle surprise de trouver dans notre boîte une enveloppe d'une destination si lointaine... d'autant que nous échangeons de moins en moins de courrier papier.

    Nous allons tous bien, ne t'inquiète pas. Tu sais, il ne faut pas prendre tous mes textes comme 100% autobiographiques; parfois aussi je m'inspire d'expériences anciennes, qui ne sont pas en lien avec mon vécu du moment...

    Nous répondrons à ta carte. En attendant, je t'envoie mes amitiés et te souhaite de très belles fêtes de fin d'année, avec la santé et chaleureusement entourée.

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    6
    Samedi 29 Décembre 2012 à 21:26

    Merci Edmée !

    Cette prise de conscience vient plus ou moins tard. J'ai de la compassion, presque de la peine pour ceux qui comprennent trop tard...

    7
    Samedi 29 Décembre 2012 à 21:29
    merci de ta belle réponse et je suis contente que ma carte t'ait fait plaisir.
    Amicalement
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