Côte à côte (11) |
Nos doigts se croisent et se décroisent, nos mains se touchent et se retouchent… elles volent de part et d’autre comme des oiseaux, ceux qu’on appelle « les inséparables », car si l’un des deux meurt, l’autre ne lui survit pas : il se laisse dépérir de chagrin. On se dit peu de mots, ou le plus bas possible : même ici, notre espace est limité, surveillé. Nous n’avons que cette heure, cette unique heure, pour être ensemble. Nos silences s’en disent plus que nos mots. Je sais ce que tu caches, ce que tu ne dis pas, pour ne pas me peiner, et parce qu’on t’a appris, dès l’enfance, qu’un garçon, un homme, ça doit se montrer fort. Nous sommes un. Une seule âme, une seule chair. Derrière ta discrétion, ta sollicitude, ta pudeur, je devine les souffrances, je ressens la douleur, les brimades, les vexations, la violence, agressive ou insidieuse. Je devine ce que tu endures, jour après jour, nuit après nuit, quand je ne suis pas là, et je saigne à l'idée de ne rien pouvoir faire. Nous n’avons que cette heure, cette unique heure, jusqu’à la prochaine. A la fin de cette heure, comme chaque fois, je sortirai en retenant moi aussi mes larmes, pour ne pas rendre la séparation plus difficile encore. C’est notre geste l’un pour l’autre. Ne pas ajouter au chagrin. Porter chacun sa part. Nous soutenir l’un l’autre dans cet accord tacite, dans cette dignité muette. Sur la promenade du front de mer, je verrai les couples enlacés, les enfants qui tiennent par la main leur mère, leur père, leur aïeul. Autant d’unions paisibles, licites, insouciantes, autant d’amours à ciel ouvert, sans murs pour les séparer, les enfermer. Je rentrerai chez moi, qui était autrefois chez nous. Et là, à l’abri de la solitude, enfin, je m’autoriserai à pleurer. Jusqu’à la prochaine heure. La prochaine heure à nous. J’ignore combien de temps il faudra. Je te sortirai de là. Corps et âme, je me battrai jusqu’à te tirer de derrière ces barreaux. Faire éclater la vérité, déjouer l’infâmie, démanteler la machination. Nous faire rendre justice. Un jour, tôt ou tard, tu marcheras avec moi sous la vastitude du ciel, tu ne tourneras plus, las et désespéré, dans la cour carrée d’un lieu étouffant, hérissé de regards espions. Un jour, nous foulerons ensemble la terre de la liberté, je ne sais pas encore quand, mais je t’en fais la promesse, sur notre amour.
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