Héritages |
Ce qu’on lègue vraiment est souvent invisible. J’en parle dans mon livre pour adultes « La belle entente », où j’évoque ma relation particulière avec mon arrière-grand-mère paternelle. J'ai été la première étonnée de l'émotion exprimée par les lecteurs de cette nouvelle dans leurs retours sur le livre, qui, à l'origine, devait n'être publié et diffusé que pour mes proches. Je pensais ce récit trop personnel pour toucher d'autres lecteurs que ma famille.
Enseignante, j’ai eu la chance de voir plusieurs fois revenir d’anciens élèves, qui m’ont parlé de choses que je leur avais dites, ou qu’on avait faites, et dont je n’avais, pour ma part, aucun souvenir. Ou dont je me souvenais, mais qui ne m’avaient pas, alors, paru importantes.
On ne sait pas ce qu’on laisse. On ne sait pas ce qu’on lègue. Et c’est bien ainsi, car on n’en tire aucun orgueil déplacé, et on ne cherche pas non plus à marquer (comme on marquerait des points). La vie sait mieux que nous ce qui doit rester. Elle se charge de la transmission.
Je me rappelle bien, en revanche, un enfant de notre école qui n’arrivait pas à nous regarder dans les yeux. Il était battu quasi quotidiennement par son père, et il avait une telle peur de l’adulte (des hommes en particulier) qu’il gardait toujours les yeux baissés devant eux et levait le bras devant son visage dès qu’on élevait la voix.
Au bout de 6 ans passés avec nous, cet enfant, devenu majeur, ne savait toujours ni lire, ni écrire, mais il était capable de regarder un adulte en face et de lui parler en soutenant son regard. Nous avons osé penser que nous lui avions transmis l’essentiel, une clé peut-être encore plus importante, pour sa vie et son avenir, que savoir lire ou écrire. Oser être debout. Oser être soi. Oser la relation à l’autre. Oser la confiance.
Atelier à la bibliothèque multiculturelle "Il était une fois..." (détails : ici), Gasperich (Luxembourg) - 2012
Du haut de mon demi-siècle de « Dalaï-Mama » (merci fiston !), j’ai fini par intégrer ceci : on ne lègue vraiment que ce qui a été transmis avec le cœur. « On ne connaît que les choses que l’on apprivoise. C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante », dit le renard au Petit Prince de Saint Exupéry (mon livre préféré, lu et relu mille fois, je le connais presque par... coeur.)
|
Photo : Sandrine & Daniel Eifermann Soutarson. Pour (re)voir nos vidéos avec Daniel et Sandrine : ici ! |
On peut laisser des maisons, des comptes en banque, des assurances-vie (quel drôle de nom… la vie est un prêt, qui pourrait l’assurer ?), des bijoux, des livres, des meubles, n’importe quelle forme de confort ou de sécurité matérielle… ce qui reste vraiment, c’est l’amour donné et reçu, qu’il soit dans ou hors ces choses matérielles. Le temps passé ensemble. La qualité de présence. Les vraies conversations - celles qui, souvent, se sont faites dans le plus grand silence, dans un regard, un geste, une intonation.
C’est le sujet de mon dernier texte pour les enfants. J’aimerais que chaque adulte, chaque parent, entende cela. Les enfants, d’après les retours qu’ils m’en font, l'entendent, eux, parfaitement. Bons ou mauvais lecteurs, ils perçoivent avec une émouvante justesse ce qui se dit entre les lignes. Puissent les parents qu’ils deviendront s’en souvenir aussi, - pas forcément de mon texte, mais de ce savoir lire entre les lignes, regarder et entendre au-delà de la réalité brute. Tendre l'oreille du coeur, la seule qui, je crois, a l'oreille absolue, et qui est, je l'espère, le centre ou au centre de tout ce que j'écris. Si un jour je la perds... prévenez-moi : j'arrête ! |
Photo : Sébastien MONCHAL (www.territoireinfini.fr) J'adore le travail de Sébastien, Voyageur d'Infini qui a créé les visuels de couverture et les illustrations de plusieurs de mes livres (comme "La belle entente", "D'est en ouest" et "Histoires à grandir debout"). Je lui confierai peut-être aussi mon dernier-né...
|