Il était une fois, il y a fort longtemps, un vieil homme qui possédait deux montagnes et tirait sa subsistance du bois qu’il coupait pour le vendre aux habitants du village. Son épouse était décédée alors que ses deux fils étaient encore tout petits, aussi les deux enfants durent-ils apprendre à se débrouiller seuls dès leur plus jeune âge. L’aîné des garçons s’appelait Qingshan (littéralement, « montagne verte ») et le cadet, Hongshan (« montagne rouge »). Une fois qu’ils eurent atteint l’adolescence, ils apprirent également à couper du bois. Le vieil homme continua de travailler du matin au soir comme il l’avait fait toute sa vie, jusqu’au jour où il prit conscience qu’il ne lui restait plus très longtemps à vivre. Il légua alors la montagne située à l’est à Qingshan et celle de l’ouest à Hongshan. Malgré les bons rapports entretenus par les deux frères, le vieil homme eut la sagesse de diviser, de son vivant, son héritage en parts égales entre ses fils. Sachant leur avenir désormais assuré, il s’éteignit paisiblement quelques mois plus tard.
La montagne située à l’ouest était recouverte d’une forêt assez dense dont les arbres, une fois coupés, faisaient du bois de chauffage de qualité. Aussi travailleur que son père, Hongshan partait tôt chaque matin couper le bois qu’il vendait aux villageois, et ne rentrait que tard le soir. Bientôt, il commença peu à peu de s’enrichir. Cependant, sur la montagne, les arbres se raréfiaient de jour en jour. Au bout d’environ cinq ans, tous les arbres avaient été abattus et Hongshan se mit alors à planter du maïs sur le versant de la colline. Tout semblait encore aller bien. Mais voilà qu’un jour d’été, une violente averse ravagea la récolte de maïs qui promettait d’être abondante. Acculé, Hongshan n’eut d’autre choix que de se rendre à l’est pour y trouver refuge auprès de son grand frère.
La forêt qui poussait sur la colline orientale était, à l’origine, quelque peu clairsemée, mais Qingshan avait élaboré un plan minutieux pour s’adapter aux conditions locales. Tout d’abord, il abattit certains arbres de piètre qualité qu’il fit sécher au soleil et vendit comme bois de chauffage, avant de les remplacer par de nouveaux plants. Il se mit ensuite à défricher la terre au pied de la montagne où il planta des cultures, et commença également un élevage de bovins et de moutons. Si, les premières années, Qingshan avait du mal à joindre les deux bouts, ses cultures ne subirent presque aucun dommage lorsque l’orage survint, car la végétation de la montagne leur servait de protection idéale. La tempête, une fois passée, laissa ses champs luxuriants, tandis qu’un arc-en-ciel se formait au-dessus de la forêt.
En arrivant chez Qingshan, Honghsan, aussitôt frappé de stupeur à la vue du spectacle qui s’offrait à ses yeux, lui demanda comment il avait réussi à faire de telles merveilles. Passant le bras autour de l’épaule de son petit frère, Qingshan lui répondit avec affection et enthousiasme : « Si tu te contentes de réclamer à la montagne sans la cultiver, tu finiras tôt ou tard par l’épuiser complètement. Il te faut d’abord labourer la terre avant d’en récolter les fruits, et sans jamais en tarir les ressources originelles ; ce n’est qu’ainsi que les montagnes verdoyantes pourront le rester pour toujours. »
Lorsque les villageois virent à quel point l’aspect des montagnes des deux frères différait après l’orage, tous s’exclamèrent : « Tant qu’il y aura Qingshan, on ne craindra pas de manquer de bois de chauffage ! » Plus tard, cette expression devint un proverbe utilisé dans un contexte visant à promouvoir la préservation des ressources naturelles, ce qu’elle demeure à ce jour.
Cependant, peu après son apparition, ce proverbe en vint, par extension, à signifier métaphoriquement « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », une nouvelle acception dont l’usage devint par la suite encore plus courant que le sens d’origine du proverbe.
Source : "Petites histoires chinoises" | Cairn.info - Sciences humaines et sociales