•  

     Côte à côte (10)

     

    C’est comme une éruption. Volcanique, pas cutanée. Si ma peau exprimait mon mal-être, je pense que j’aurais au minimum la lèpre. Combien d’années que je vis sous ton climat irrespirable ? Combien d’années que j’endure tes règles arbitraires, aussi changeantes que tes humeurs ? Combien d’années que je me farcis un à un tes caprices ? Que je me plie en quatre, que dis-je, en quatre-cent-quarante-quatre, pour te satisfaire, et que ça ne suffit jamais ? Aujourd’hui, pourquoi aujourd’hui, j’en sais rien, la dernière goutte a dû finir de remplir à ras bord le vase de lave, la coupe est pleine de mots brûlants retenus, trop retenus, trop longtemps et beaucoup trop souvent retenus, ça monte, ça monte, je le sens, ça bouillonne, ça fume, ça glougloute, ça mijote de bulles d’injustice, ça gicle d’humiliations acides, ça gronde, ça gronde, tout ce magma de critiques imméritées, toute la pression accumulée de ces petites remarques en apparence anodines, réellement blessantes, toutes ces vexations en privé, jamais en public, jamais devant témoin, hein, fallait pas égratigner ton image, impeccable par devant, dégueulasse par derrière, une vraie enculade oui ! Attends j’ai pas fini, et les abus de tous ordres, les sales besognes répétées, les échecs que tu m’as faits endosser à ta place, les responsabilités dont tu ne voulais pas et que tu m’as collées sur le dos, tellement plus facile d’accuser ceux qui font, ou qui essayent de faire, quand ça rate, et de récolter les honneurs pour un travail pas fourni quand ça réussit… oh mais j’ai encore pas fini, ça monte, ça monte, ça grimpe en flèche même, plus je dresse la liste, plus j’ai de souvenirs ravalés qui rappliquent, un reflux gastrique de ras-le-bol en fusion, de poids portés, supportés, c’est pas un bouc émissaire dans mon cas, c’est un mammouth émissaire, un gros mammouth mâle, en pleine force de l’âge, tous les services rendus pour pas un seul merci, pas même un regard,  les innombrables fois où tu as exploité mes compétences, mon empathie, ma serviabilité, mes relations, toujours à ton avantage, sans jamais rendre le geste… Pourquoi j’ai courbé l’échine si longtemps, pourquoi j’ai pas réagi avant, j’ai plus le temps de me poser de questions, j’ai plus le temps de te trouver d’autres excuses, ça pousse trop vite, ça gronde trop fort, je pourrai pas empêcher que ça jaillisse cette fois, je pourrai pas contenir l’éruption, ça vient, c’est tout proche, ça va te péter à la face sans que tu le voies venir et tu comprendras rien à ce qui arrive, tu as tellement l’habitude que je te caresse dans le sens du poil, que j’aille dans ton sens pour ne pas faire de vague, eh bien, là, la vague, elle est haute comme les murs que tu avais dressés autour de moi, elle est puissante comme le crachat incandescent que j’avais refoulé en croyant bien faire, et elle va s’écraser spectaculairement sur ta côte idyllique comme un tsunami tonitruant, ce ne sera plus la Riviera, ce sera Fukushimiera, ce sera la fin des chimères et tu en chieras, ou peut-être pas, mais au fond je m’en fous, parce que surtout, ce sera sans moi !

     

    Texte inspiré de la chanson "Déterre", par Zaz

     

                                                                                         Lire les autres "Côte à côte"

     


    votre commentaire
  •  

     

    Tape du pied
    Vas-y, vas-y, tape du pied
    Y a que comme ça que tu peux remonter
    Tape de pied
    Vas-y, vas-y, tape du pied
    Ça fait trop longtemps que tu te fais discret
    Tape du pied
    Vas-y, vas-y, tape du pied
    N'aie pas peur il faudra les réveiller
    Fais du bruit, vas-y, vas-y, fais du bruit
    Tu vas voir que c'est là que tu te sens en vie
    Fais du bruit, vas-y, vas-y, fais du bruit
    Fais trembler les murs et réveille les nuits
    Fais du bruit, vas-y, vas-y, fais du bruit
    Relâche, crache tout ce qui te pourrit
    Ce qu'il y a sous la terre, m'effraie, autant que toi
    Des catacombes, les ombres aux murs
    De nos cavernes d'Ali Baba
    Secret taillé, dans les rochers
    Très enfoui, très englouti
    Prends la pelle comme on prend le large
    Entends l'appel
    Déterre
    Déterre-les
    Déterre-toi
    Comme tu veux, vas-y, vas-y, comme tu veux
    Laisse monter le trop plein à la lisière des yeux
    Comme tu veux, vas-y, vas-y, comme tu veux
    Fais jaillir le ras-le-bol, à ras-bord qui prend feu
    Comme tu veux, vas-y, vas-y, comme tu veux
    Sens-tu le sol se fendre en deux?
    Abandonne, vas-y, vas-y, abandonne
    Pour qu à nouveau chaque seconde t'étonne
    Abandonne, vas-y, vas-y, abandonne
    Tu pèses plus rien toi qui pesais des tonnes
    Abandonne, vas-y, vas-y, abandonne
    Tape des pieds pour que la terre
    Sous tes pieds résonne
    Résonne
    Résonne
     
     
    Paroles : Buridane
    Interprète : Zaz
     
     

    votre commentaire
  •  

    Côte à côte (9)

     

    Et hop ! Un triple looping, suivi d’une descente en piqué, suivi d’une remontée spectaculaire. Les bipèdes pavoisent avec leurs avions de chasse et leurs fumées tricolores pour leurs fêtes nationales, mais en matière de figures aériennes, ils ont tout piqué aux oiseaux. En matière de vol aussi, d’ailleurs. Non mais qu’est-ce qu’ils croient ? Qu’ils ont inventé la poudre ? Quand on voit l’usage, non les usages, qu’ils en font, de la poudre… Ya pas de quoi se pavaner, hein.

    Jo me rejoint en vol plané sur l’aile droite. Jo, c’est le diminutif de « Jonathan ». Lui, c’est un goéland ; moi, une mouette. Et alors ? Ca ne nous empêche pas d’être un top binôme. On réussit nos acrobaties en duo comme personne, même si nous sommes d’envergures différentes. Etre identiques n’est pas indispensable pour former une bonne équipe. Une solide base commune pour se comprendre, assez de différences pour se compléter. Voilà la bonne alchimie. Si on est deux clones, on s’emmerde. Si on est deux opposés, on s’engueule. Le secret d’une bonne alliance, c’est l’équilibre du semblable et du dissemblable. Jo et moi, on s’entend là-dessus comme sur le reste.

    « Hé Jo, vise un peu les deux cibles, là en bas, sur le balcon ! On les mitraille ?

    -Affirmatif ! Cible en ligne de mire pour salve imminente !

    -Si on s’y met à deux, wouh, qu’est-ce qu’elles vont se prendre !

    -Elles auront du nettoyage à faire…

    --…. et de la lessive !

    --…. et deux ou trois shampooings !!

    -Tu crois qu’on pousse jusqu’à lâcher une deuxième salve sur leur linge, une fois qu’elles l’auront lavé et mis à sécher dehors ?

    -A voir… tu les trouves si détestables que ça ?

    -Je les trouves suspectes… Ca fait un moment que je les vois caqueter sur leur balcon en zieutant d'un oeil mauvais tous ceux qui passent près de la plage aux parasols jaunes. J’ai l’impression qu’elles sont en flagrant délit de commérages. Et pas des plus bienveillants…

    -Ok, on va faire quelques patrouilles à proximité, discrètement, pour aller à la pêche aux informations. Si tes soupçons se confirment, on refait un deuxième passage et on lâche la deuxième salve, ok ?

    -Ok. En attendant… largaaaaaaage des premiers missiiiiiiles !!! FEU !!!

    -Hola dis donc, tu les as pas ratées !! T’avais mangé quoi à midi ?

    -De la morue… »

     

                                                                                                                                          Lire les autres "Côte à côte"

     


    votre commentaire
  •  

    Côte à côte (8)

     

    "T’as vu les deux d’à côté ?

    -Desquels tu parles ? Les deux snobinards en maillot Versace ? Ceux qui ne se baignent pas sans lunettes de soleil Dolce e Gabbana, Armani waterproof et bijoux Bulgari ?

    -Snobinards, tu parles ! Tout le monde sait que les vrais snobs sont à Cannes ou Monaco, pas ici ! Si leurs maillots sont du Versace, mes tongs sont du Gucci ! Je te parie que ce sont des contrefaçons achetées trois fois rien au noir. Même le sac Prada de la starlette, c’est du simili-cuir, ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

    -En parlant de nez, t’as vu celui de la jeunette du dessous ? Il est tellement busqué que de profil, on dirait un arc !

    -Ouais ben, elle pourra prendre les boutons d’acné de son Roméo pour cible ! T’as vu ce domino ?

    -Bah et sa peau à elle, alors ? Elle a plus de points noirs qu’une coccinelle !

    -On est cernées de specimen dans cette résidence, je te jure, une vraie collection de laiderons ! Non, je te parlais des deux du studio de gauche, pas de ceux du F2 de droite.

    -Ah, le grand vieux mince et la petite jeune boulotte ?

    -Petite jeune, petite jeune… T’as vu ses rides ? Elle n’est pas de première fraîcheur, hein.

    -Nan, c’est juste lui qui la fait paraître plus jeune, ça doit être calculé exprès : les vieux s’offrent des jeunes pour se sentir virils, les jeunes s’offrent des vieux pour paraître plus jeunes. Duo gagnant-gagnant…

    -Ils ont combien d’écart, à ton avis ? Dix ? Vingt ? Trente ?...

    -Bah je sais pas… vingt-cinq ans ?

    -C’est peut-être sa fille du coup, pas sa femme ?

    -Ni l’un ni l’autre ! Tu les as bien observés ? T’as vu les œillades qu’ils s’échangent ? Il la regarde comme un trésor, elle le regarde comme un sapin de Noël. On les dirait plantés devant un buffet de desserts après une grève des pâtissiers.

    -C’est vrai ça, j’ai remarqué aussi. Trop collés l’un à l’autre pour être père et fille….

    -M’en parle pas ! Des escargots, je te dis !

    -… et trop amoureux pour être mari et femme, ou alors, très récemment mariés. Ou en pleine lune de miel !

    -A leur âge ??!!

    -Second mariage ? Deuxième ? Ou troisième ? Y a plus de morale, ma pauvre ! Si ça se trouve, ils sont amants. Ce n’est pas sa femme, c’est sa maîtresse.

    -Ou une call girl !

    -Hahahaha ! T’en as de bonnes ! T’as vu sa morphologie de gnocchi, à la call girl ? Elle ferait pas fortune !!

    -Certains les aiment rondes !

    -Rondes peut-être, mais plissées ? Elle a tellement de bourrelets qu’il peut jouer de l’accordéon !

    -Ou au golf, dans les trous de sa cellulite !

    -Elle ne met que des maillots une pièce, jamais de bikini. Elle a sûrement aussi des vergetures.

    -Vu le bide qu’elle a, elle a porté au moins des triplés avant les vergetures…

    -Les deux font la paire : lui aussi, il a du bide ! Mais ça se voit moins, parce qu’il est grand !

    -A ton avis ils sont quoi ? Amerloques ?

    -Vu la couleur de l’accordéon, je dirais plutôt Islandaise… elle doit voir le soleil deux fois par an… sous une capuche et avec des moufles !

    -Et lui ? Islandais aussi ? Non, il est trop brun.

    -Arrête, il n’est pas brun, il est gris !

    -Ok, gris brun ! Ou ex-brun si tu veux ! Mais bronzé.

    -Ca peut être le ski ? Ils en font beaucoup, là-bas.

    -Norvégien alors ?

    -Ou Danois ? Il a l’air taciturne.

    -Ya des montagnes au Danemark ?

    -Les Norvégiens sont taciturnes ?

    -Ben, le seul Norvégien que je connaisse c’est Munch, celui qui a peint « Le cri »

    -Le quoi ?

    -Un tableau qui suinte la mélancolie glauque et les envies torturées…

    -D’où tu sors cette phrase, toi ?

    -Je sais plus… Je l’ai lue quelque part… dans la salle d’attente de l’ophtalmo, peut-être.  Tu crois qu’elle fait comment pour l’embrasser debout ? Elle monte sur une échelle ? Ou elle attend qu’il soit couché ?

    -Chuuuuut ! Baisse d’un ton ! Les voilà qui sortent !"

     

     

    "On les divertit beaucoup, apparemment. Mieux qu’un feuilleton d’été !

    -Qui ça ?

    -Les mémères d’à côté. Ca fait des jours qu’elles nous espionnent.

    -Ne les appelle pas « mémères » !!! Si ça se trouve, elles ont mon âge… ou moins !

    -Je m’en fous ! Elles passent leur temps à nous observer sans en avoir l’air, en se marmonnant des trucs à voix basse. Je suis sûre qu’elles font des paris sur notre différence d’âge, la nature de notre relation et notre nationalité.

    -Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

    -Intuition féminine ?

    -Laisse-les parler ! Ce sont des jalouses !

    -Sûr qu’elles ont de quoi l’être ! Elles n’ont pas vu l’amour depuis longtemps, à voir leurs tronches ! Si elles l’ont jamais croisé. Tu sais quoi ? J’ai une idée. J’ai cru comprendre qu’elles nous croient Amerloques. Parle un peu plus fort dans pseudo-anglais nasillard en m’appelant « Brenda ». Je ferai de même en t’appelant « Bryan ». On va s’amuser, nous aussi…

    -Je suis trop poli pour dire « fuck » à répétition !

    -Tu es top ! Tu me donnes une meilleure idée ! Ce soir, quand tu me feras l’amour, je crierai très fort « Oooooh Bryaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan » juste derrière la cloison ! Ca mettra du piment dans leur feuilleton et ça fera avancer leur enquête sur les nationalités !

    -Je te préfère au naturel. Oublie les Amerloques. Oublie ces commères. Allez viens, on s’en va ! La mer est plus belle !

    -D’accord ! Je me contenterai d’un pacte avec les mouettes pour qu’elles leur chient dessus. A chaque passage ! "

     

                                                                                                                                          Lire les autres "Côte à côte"

     


    votre commentaire
  •  

    Ma lecture du moment

     

    "Je pense à ceux qui arrivent dans un pays étranger, hostile, avec pour seul bagage l'espoir d'une vie meilleure. Nous recherchons tous cela. Combien de nos amis ont quitté le sud de l'Italie pour aller au nord, ou pour s'installer à l'étranger ? Rien qu'à cette table, nous avons des frères, des enfants, des petits-enfants qui sont partis vivre ailleurs. Par nécessité. Que nous racontent-ils, lorsqu'ils rentrent ? Ils nous disent combien c'est dur d'être loin de chez soi, mais qu'ils n'avaient pas le choix. (...) Comment réagirions-nous si nos amis nous disaient qu'ils ont été maltraités, rejetés, stigmatisés parce qu'ils étaient étrangers? (...)

    L'image de notre pays est salie à l'international. Nous sommes ceux qui ferment nos ports, nous sommes ceux qui ont mis l'extrême-droite au pouvoir. Montrons que les Italiens sont encore ces gens accueillants et bons. Montrons que notre coeur est encore ouvert aux autres. Je me fiche bien de savoir pour qui vous avez voté. Je ne vous parle pas de politique, mais de vies humaines."

     

     

    En savoir plus sur le livre

    En savoir plus sur Serena Giuliano

     

    Je viens de le finir. Ma mère m'avait fait découvrir "Ciao bella", que j'avais adoré. J'ai lu ensuite "Sarà perché ti amo", qui m'a déçue : j'ai trouvé les personnages stéréotypés, sans profondeur, et le texte très convenu. Heureusement, j'avais acheté en même temps "Mamma Maria", et là, j'ai retrouvé l'humour du premier livre et voyagé en Italie sans sortir de mon lit. Si vous n'avez pas le temps de tout lire, je vous conseille au moins le dernier tiers, quand un quatuor d'Italiens entre 65 et 82 ans découvrent Paris, le métro, les pâtes et le café à la française. La scène au restaurant gastronomique est à hurler de rire ! Si vous aimez l'Italie et les Italiens, si vous avez envie de les découvrir du point de vue d'une native qui s'est acclimatée à la France... plongez !

     


    3 commentaires